mercredi 5 mai 2010

UN


J'ai passé la nuit à l'attendre. Je n'ai rien fait d'autre de particulier. Je suis resté là, assis à la table de la cuisine. le sommeil ne venait pas, juste l'inquiétude. Puis l'angoisse. J'enchainais les cafés et les cigarettes, terminant le paquet de blondes américaines puis entamant le brun à rouler qui restait dans un tiroir, sec et âcre. Alors que le soleil commençait à passer au travers des rideaux de perles qui pendent à l'entrée de la cuisine, je me suis approché pour regarder la ville qui s'éveille. Un vain espoir me prenant de la voir arriver de la ruelle je restais là, debout. Mais personne ne venait. Au bout d'un temps j'ai pris sur moi de sortir, me prétextant l'achat de cigarettes. J'ai marché le long des rues sombres qui bordent le port.
Le brouillard enveloppait les quais et les femmes des pêcheurs qui s'y pressaient pour accueillir leurs hommes de retour d'une nuit en mer. La marée montante amenait une brise iodée qui dissipait la brume en volutes bleutées révélant par moment des silhouettes plus précises, des contours. Des visages devenus plus nets suintaient une angoisse sourde qu'une rumeur accompagnait. Un bateau manquait. Un pêcheur n'était pas rentré et on pouvait voir son chien allongé calmement sur une des marches du bistrot du port, insensible à l'inquiétude ambiante. Je le rejoignais, décidé à attendre avec lui ; m'installais à une des tables toutes proches, commandais un pichet de vin blanc sec et des cigarettes, du pain et de la saucisse sèche ; sortais mon couteau de ma poche et commençais à scruter l'horizon qui se dégageait. L'image que j'avais d'elle s'estompait au fur et à mesure que le pichet se vidait.
Je mangeais et buvais là, seul et au bout d'un temps, quand l'agitation du port cessa, la tête commença à me peser. Le chien toujours à mes côtés attendait encore son maître avec confiance, tous les autres étaient rentrés : les pécheurs, leurs épouses et leurs cargaisons. Je m'endormais, seul à ma table. Un peu avant midi j'ouvrais les yeux. Le chien n'était plus là. Un nouveau bateau, de ces grandes barques aux couleurs écaillées qu'ont les marins du coin, était échoué, amarré sur le sable découvert par la marée descendante. Sentant les crampes gagner mes jambes je me levais, m'étirais, prêt à prendre le chemin de la maison. L'esprit encore engourdi par l'alcool et les quelques heures de sommeil regagnées sur ma nuit blanche, je me retournais.

Elle était là. Elle était là pour moi. Putain la tronche qu'elle tirait...

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Dessins
  1. Porto
  2. Porto
  3. Porto
  4. Porto


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1 commentaire:

  1. ce qui m'saisit, c'est la justesse de votre univers... j'ai été happée sur le champ ! joli pouvoir d'évocation, bravo messieurs !!!

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