dimanche 23 mai 2010

DIXNEUF

Depuis que je ne travaille plus, je dors de plus en plus. Chaque instant, chaque endroit m'est propice au sommeil. Je dors quand la petite famille se réveille, je dors en m'occupant des enfants, je dors quand les enfants ne veulent pas dormir, je dors encore quand Elle rentre du travail. Ce n'est que lorsque toute le monde est enfin endormi que je m'éveille, poussé par une force impérieuse qui m'oblige à faire tout ce que je n'ai pas fait durant le jour. La maison dort alors je fais tout cela aussi près du silence que possible, dans un souffle, les sens aiguisés, doués d'une acuité exacerbée par cette nécessité. lorsqu'enfin je La rejoins dans le lit conjugal, un grognement m'accueille qui me dit qu'il est encore trop tard.
Depuis que je ne travaille plus nous habitons un petit pavillon bâti à la-va-vite dans les années soixante sur le terrain humide d'un petit village de bord de mer, à cent lieues de tout lieu. La mer rugit à quelques centaines de mètres de la maison, féroce et violente lorsque elle se fracasse sur les côtes escarpées dont la simple vue abolit l'idée de baignade. Je me trouve ici comme rangé dans un coin de tête du monde, comme mis là, en attendant, comme ces idées qu'on garde pour plus tard et qui finissent par périr, oubliées faute d'être visitées.

Depuis que je ne travaille plus, je ne réfléchis plus. Je perds mes cheveux aussi, par brassées. Et depuis que je ne travaille plus j'ai un chat. Elle me l'a ramené "pour me tenir compagnie" puisque c'est "le seul être vivant sur cette terre qui vive au même rythme que toi". Le chat, il est bleu. C'est une chatte d'ailleurs. Une chatte bleue. Pas un chartreux hein, non. Une chatte bleue, bleue. Bleue comme une Opel Kadett, métallisée. Dès le début de notre cohabitation, le félin a entrepris de me suivre partout, de copier le moindre de mes gestes. Surtout, elle a pris l'habitude de lécher régulièrement le sommet de mon crâne déplumé. Et miracle, ça a commencé à repousser.
Le problème - enfin je dis problème, pas tant que ça finalement puisque tout semble dans l'ordre aujourd'hui - c'est que ce ne sont pas des cheveux qui ont poussé. Ce sont des poils. Des poils bleus, métallisés. Depuis que je ne travaille plus, je dors de plus en plus, je vis dans un coin de tête, je ne réfléchis plus, je perds mes poils et je suis devenu un chat. Un chat bleu, métallisé.

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Dessins :
  1. Barcelone
  2. Barcelone
  3. Barcelone
  4. Barcelone

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